par CAFRICAIN » Sam 08 Nov 2008, 10:20
CA-EST, derby de la mémoire
Acte de création :
Tout le monde s’accorde à dire que les dates de création respectives sont les suivantes :
- 15 Janvier 1919 pour l’Espérance (je reviendrai sur ce point ci-dessous)
- 4 Octobre 1920 pour le CA
Le visa établissant le CA existe. Ce document a été reproduit dans le livre de feu Abdelmajid Messalati " Club Africain, 80 années de gloire", et repris par nombre de journaux et même ici au forum.
Par contre, celui de l’EST n’existe pas. Il aurait été (selon la brochure publié par l’EST à sa cinquantenaire) brûlé par un dirigeant, dans les années vingt, dépité de ne pas figurer dans la composition du Bureau Directeur.
Contexte de création :
Certaines voix, notamment des journalistes et des amateurs espérantistes, continuent à s’élever et à affirmer que la première demande de visa fut déposée courant l’année 1917 par les pères fondateurs de l’Espérance. Cette affirmation est truffée de paradoxes, particulièrement pour deux raisons :
1- Dans leur littérature respective, aussi bien le CA que l’EST se réclament comme les héritiers d’un club nommé Stade Africain (composé de tunisiens musulmans, entre autres joueurs). Le stade Africain et le Club tunisois ont été dissous suite à un match houleux tournant à l’émeute et donnant lieu à des représailles entre musulmans et juifs tunisiens. Il est historiquement établi, preuve à l’appui (j’en ai les preuves incontestables), que ce match a eu lieu en Mars 1918 ! Par conséquent, l’affirmation selon laquelle la première demande de l’Espérance fut soumise en 1917 est un non-sens d’un point de vue historique et chronologique. Ladite demande ne pourrait être présentée que vers fin sinon mi-1918 tout au plus.
2- En 1917, le contexte mondial fut ébranlé par trois évènements majeurs, dont les répercussions eurent affecté directement l’environnement socio-politique tunisien, à savoir la première guerre mondiale, les Quatorze Points du Président Wilson et la Déclaration Balfour de 1917, laquelle Déclaration attisa l’hostilité entre les communautés musulmane, chrétienne et juive. Pendant cette période de guerre et de tension raciale, nombreux joueurs tombèrent au champ de bataille. L’infrastructure sportive et les installations administratives des clubs tunisiens furent bombardées et ravagées, outre que le championnat fut interrompu, et par conséquent la pratique du football eut nettement régressé. Compte tenu de ce contexte, prétendre qu’un club, qui plus fut musulman, eut déposé une demande de visa est contestable, à plusieurs égards, pour ne pas dire historiquement irrecevable.
Conditions de création :
Les pères fondateurs de l’Espérance ne résistèrent pas au diktat colonial et acceptèrent les conditions imposées par l’autorité coloniale, en l’occurrence, la nationalité française du président. Ainsi, le premier président de l’Espérance fut un français (un certain Louis Montassier).
Par contre les pères fondateurs du Club Africain furent beaucoup plus intransigeants et obtinrent finalement gain de cause et imposèrent un Bureau Directeur entièrement tunisien, présidé par Béchir Ben Mustapha, une première dans l’histoire sportive tunisienne et un précédent sur lequel d’autres équipes ont construit leur création, comme l’ESS ( Ahmed Zeglaoui, un des pères fondateurs du Club Africain fut , entre autres, à l’origine de la création de l’ESS ) et le Club de Tunisie ( actuellement le CSS) .
Le choix des couleurs :
Au départ, les couleurs de l’Espérance étaient le blanc et le vert. Les pères fondateurs cédèrent aux exigences coloniales de ne pas afficher les couleurs nationales, à savoir le rouge et le blanc. Ce n’est qu’en 1924 que Chedly Zouiten, chef spirituel du club, donna à l'Espérance ses couleurs actuelles; le rouge et le jaune. Cette combinaison de couleurs reste très neutre et n’a aucun lien avec la symbolique tunisienne, puisque ces couleurs ont été choisies d’une manière très fortuite. Lors d’un match, les tenues de l’équipe ont été oubliées. Pour parer au plus pressé, Chedly Zouiten (ou Mohamed Zouaoui, je ne sais plus !) a emprunté les tenues du Lycée Carnot (de couleurs rouges et jaunes).
Pour le club Africain, les couleurs rouge et blanche (couleurs nationales) furent réclamées et obtenues dès le départ, constituant ainsi d’une part, une autre concession de l’autorité coloniale, et d’autre part, une affiliation directe à la nation. Les pères fondateurs ont tout essayé pour orner le maillot clubiste de l’écusson nationale (étoile et croissant), ceci ne fut obtenu que quelques années plus tard.
Les origines des appellations :
Au départ, le nom de l’EST était simplement l’Espérance Sportive, du nom du café (derrière l’actuel Magasin Général, sis au port de France à Tunis/Centre Ville) dans lequel les pères fondateurs ont convoqué la réunion constitutive. Faute de convenir d’un nom, et de guerre lasse, un des participants proposa de nommer le club au nom du café ! A défaut de mieux, la proposition fut retenue. Ce n’est que 1942 que Chedly Zouiten décida d’adjoindre le terme "Tunis" et, par conséquent, donna à son club la dénomination actuelle, l'Espérance Sportive de Tunis, un subterfuge, assez rusé du reste, pour faire valoir l’ordre alphabétique et ainsi supplanter l’ESS dans une compétition sportive à l’échelle nord-africaine.
Pour le Club Africain, la situation fut tout autre. Le nom n’a jamais changé depuis la création du club, il ne fut pas choisi arbitrairement. Pour les pères fondateurs, le nom devait véhiculer un message et une charge symbolique, sur deux plans :
1- Visibiliser le nom de "Ifriqiya", ancien nom de la Tunisie, devenu le nom de tout un continent , à savoir, l’Afrique.
2- Marquer le prolongement avec le Stade Africain, club dissout.
Pères fondateurs :
Le principal artisan de la création de l’Espérance fut Mohamed Zouaoui, qui n’était que le garde matériel du Stade Africain. (Dans la brochure éditée au cinquantenaire de l’EST en 1970, les éditeurs parlaient de gardien de but !!!). Je m’empresse de préciser que ceci ne réduit en rien son mérite et, encore moins mon respect, j’ai voulu juste livrer un point d’histoire. D’ailleurs, Mohamed Zouaoui et son compagnon Hédi Kallel, pères fondateurs de l’Espérance, furent évacués et remplacés par une nouvelle équipe dirigeante (plus intellectuelle ?) l’année d’après.
Pour le Club Africain, les pères fondateurs étaient, en majorité, des hommes de lettre et d’art dont plusieurs (En particulier Ahmed Dhahaq, Jamel Eddine Bousnina et Belhassen Ben Chadly ) contribuèrent, en 1934-1935, à la création de la "La Rachidia", temple de la musique tunisienne.
Affiliation au quartier :
Il est établi que l’affiliation de l’EST au quartier de Bab Souika n’est pas historique, l’association entre le club et le quartier vit le jour durant les années 40, notamment suite à l’entrée de Habib Bourguiba, symbole de la lutte anti-coloniale, comme président d’honneur de l’EST et l’installation de son bureau d’avocat à Bab souika.
Pour le Club Africain, Bab Jedid fut le lieu d’habitation, de réunion, de sociabilité et d’ancrage pour les pères fondateurs. Le quartier de Bab Jedid était et reste le fief et le lieu de mémoire par excellence.
Dimension culturelle :
Dès sa création, l’EST fut un club exclusivement de football, alors que le Club Africain fut fondé comme un club à triple dimension : Sport, théâtre et musique. Outre certains pères fondateurs contribuant à la création de la Rachidia, des grandes figures du théâtre tunisien ( Abdelaziz Agrebi, Ahmed khaireddine) , de la chanson tunisienne ( Abderazzek Karabaka et Chafia Rochdi ) et de la lutte syndicale ( Ahmed Ben Miled, grand compagnon de Mohamed Ali Hammi ) furent des piliers dans la création ou l’évolution du Club Africain.
Il est à signaler que durant les années 50 et 60, le Club Africain organisait et présentait, en son nom, des pièces théâtrales, écrites particulièrement par Ahmed Khaireddine, au Théâtre municipal de Tunis.
Par contre, le café « Taht Essour », haut lieu de la culture tunisienne de l’époque, était pourtant sis à Bab Souika, mais aucune étude n’a établi de lien entre ce grand cercle de rayonnement culturel et l’EST.
Liens avec le pouvoir en place :
Depuis Chedly Zouiten ( président de 1922 à 1953, décédé suite à un tragique accident ) jusqu’à Slim Chiboub, en passant par Hedi Belkhodja, Hedi Jilani, Mondher Zenaidi, l’EST a été toujours été un instrument du pouvoir en place. Les recherches historiques ont même établi que Chedly Zouiten "Contrairement aux principes nationalistes qui régissent les clubs musulmans, le docteur Zouiten appartient à l'entourage beylical et se conforme à la politique de la Régence".
Pour le Club Africain, et excepté Azzouz Lasram ( un des rares hommes politiques tunisiens à oser remettre sa démission au président Bourguiba ) et à moindre degré Ferid Mokhtar ( frère de Fethia Mzali, épouse de Mohamed Mzali, qui avait occupé nombre de postes ministériels, notamment Premier Ministre ), le pouvoir en place n’a pas été trop présent dans l’environnement du club.
J’avoue que cet aspect est très difficile à délimiter. Il y a trop de pesanteurs et de zones d’ombre pour avoir une vision claire de la situation. Toujours est-il que depuis Bourguiba, l’EST a toujours donné l’impression de se complaire dans cette image de club du pouvoir.
Rôle & stratégie de Bourguiba :
Il est établi que Bourguiba avait fait partie, du moins à titre honorifique, du Bureau Directeur du CA avant de joindre plus officiellement celui de l’EST. Pourquoi un tel revirement ? Quelles en étaient les causes profondes ? Pour quels desseins ? Sans être chauvin, j’estime que Bourguiba s’était rendu compte, à l’époque, que les pionniers clubistes, dont bon nombre étaient hommes de lettre et d’art, avaient suffisamment de conscience politique et d’esprit militant pour perdre son temps à les mobiliser à la cause nationale, les pères fondateurs étaient déjà dans les tranchées.
Rassuré et convaincu quant au ferme engagement nationaliste des responsables clubistes, Bourguiba avait vite compris que la bataille de mobilisation était dans l’autre camp. Par l’entremise de son frère Mahmoud, faisant partie du cercle espérantiste, il a mis le paquet sur la deuxième aile sportive tunisoise, en l’occurrence l’EST, intellectuellement et politiquement à moindre niveau, pour ne pas dire carrément déphasée, pour déployer son charme et son charisme afin de mobiliser la haute sphère espérantiste, et par conséquent, sa base, derrière le projet nationaliste.
En un mot, Bourguiba avait compris, dès le départ, que la communauté espérantiste devait être guidée, orientée et, notamment, épinglée pour assimiler les enjeux de l’époque et agir dans le même sens que "les frères ennemis" clubistes. Entre des hommes clubistes déjà en première ligne et des hommes espérantistes dépourvus de véritable conscience politique, Bourguiba avait saisi où il devait s’investir. C’est là également que le Derby trouve ses racines et ses arguments identificatoires.
Signification & portée des slogans :
Il est commun et non moins acceptable d’entendre vociférer, aux virages comme ailleurs, "EST, ya Dawla" et, avec la même voix haute et forte, "CA, peuple clubiste". Derrière ces deux affirmations se faufilent un marquage de territoire et d’idéologie. L’EST a été toujours assimilé au pouvoir politique ambiant alors que le CA a été toujours proche de la masse, toutes catégories sociales confondues.
Il serait grotesque de dire que l’EST est l’équipe du pouvoir et le CA est l’équipe du peuple, comme veulent certains l’affirmer, mais il est incontestable, historiquement et pratiquement, que l’EST s’était contentée et continue, à être la protégée du pouvoir alors que le CA, sans s’en démarquer vraiment surtout ces dernières années, reste un club rebelle car introverti alors que l’EST a été toujours un club extraverti, et dans certains égards, vraiment travesti. C’est là aussi une ligne de rupture nourrissant le Derby.
Repères historiques :
• Le CA est le premier club tunisien présidé par un tunisien
• Le CA est le premier club tunisien à jouer avec les couleurs nationales.
• Le CA est le premier club tunisien à placer la dimension culturelle au centre de son action.
• Le CA est le premier club tunisien à arborer l’écusson national, à savoir, le croissant et l’étoile.
• Le CA est le premier club tunisien à organiser des manifestations culturelles et artistiques (concert musical, présentation de pièces de théâtre,…)
• Le CA est le premier club tunisien à accorder la gratuité d’entrée au stade à la gente féminine depuis les années trente.
• Le CA est le premier club tunisien à donner une identité à un quartier, à savoir Bab Jedid.
• Le CA est le premier club tunisien à imposer de grandes concessions identitaires aux autorités coloniales.
• Le CA est le premier club tunisien entièrement tunisien, et ceci personne ne peut le lui enlever.
En conclusion :
Je précise que l’EST était, est et restera un des principaux bastions sportifs tunisiens, de par son histoire, son public et son audience, je dirais même plus que "si l’EST n’existait pas, les clubistes l’auraient créée" et vice versa ! J’ai voulu tout juste apporter certains éclairages historiques et identifier d’autres facteurs identificatoires du derby et d’autres vecteurs de lecture à l’opposition CA-EST !
Je reconnais que ce texte favorise bon gré mal gré le Club Africain, mais j’ai repris des éléments de l’histoire, développés surtout par des non clubistes ! Celui qui trouvera à redire, je souhaiterais qu’il vienne me confondre et apporter d’autres arguments, d’autres éclairages et d’autres pistes d’investigation ! Ce serait enrichissant pour tout le monde !
Je ne prétends pas détenir LA VERITE, mais comme disait un philosophe "entre ma vérité et ta vérité, il y a LA VERITE"
PURISTE CLUBISTE INCONDITIONNEL.
UN ABONNEMENT...C'EST UN COUP DE COEUR ET UN CHOIX DE RAISON...UN FORUMIEN NON ABONNE EST UN CLUBISTE AU RABAIS!