Football
DEBAT
S.O.S. buteurs !
La saison 2002-2003 n’a pas été celle des buteurs. Hormis Zitouni ou Selliti, la plupart sont restés muets et ont besoin, pour une raison ou une autre, de briller… en pensant à la CAN 2004.
A trois étapes de la fin de la saison 2002-2003, les buteurs de notre championnat n’ont pas été assez brillants et efficaces au cours de la compétition nationale. Ils ne marquent pas ou ne marquent pas assez. Il reste que pour retrouver l’engouement, il convient que le spectacle soit au rendez-vous. Et ça, qu’on le veuille ou non, c’est d’abord une affaire de qualité de jeu et… de buts, donc une affaire de football offensif et de buteurs.
Or, si le football tunisien a perdu ces vingt dernières années bon nombre de buteurs (Machouche, Akid, Khouini, Adhouma, Ben Aziza, Zoubaïer, Hassen Bayou, Bayari, Rouissi etc.), il a réussi quand même à avoir quelques attaquants percutants pour les remplacer convenablement.
Mais, hélas, à part Ali Zitouni et Mohamed Selliti, les autres ont été tout simplement irréguliers dans leurs prestations et avez limités sur le plan technique et tactique. Ils n’ont pas réussi à animer le championnat national.
Pour peu qu’on leur donne les moyens de s’exprimer tactiquement, les entraîneurs doivent se montrer moins frileux.
La CAN 2004 en toile de fond
Parmi les chasseurs de buts, quelques-uns se sont déjà illustrés par intermittence. On pense à Ben Younès, Lansari, Essafi, Jaziri, Selliti, Daâssi, Zitouni et Jelassi.
Ce sont eux qui feront le succès de la compétition.
Tous, à des degrés divers, ont des choses à prouver ou à confirmer, qui ne peuvent que les pousser à se surpasser.
Pour les uns, c’est une place de titulaire ou de leader de l’attaque à gagner en équipe de Tunisie pour la prochaine CAN 2004.
A ce propos, beaucoup ont une carte à jouer pour convaincre Roger Lemerre, car si derrière et à l’entrejeu, la sélection paraît plutôt établie, devant, les intertitudes «rongent» le sélectionneur : Jaziri, Selliti, Missaoui devront d’abord s’imposer dans le groupe.
Ces trois attaquants font partie de cette catégorie de joueurs pour lesquels rien n’est complètement assuré, à la différence de Zitouni, par exemple, et qui ne peut rater la saison sous peine, dans la foulée, de louper le grand rendez-vous africain.
Une seule solution!
Et pour y être, ils n’ont qu’une solution : marquer! Les attaquants devront prendre le pouvoir.
Ont-ils le talent? Le vrai, celui qui conduit au succès à la CAN 2004 ou dans un club étranger?
C’est la seule solution. Et, pour toute les raisons évoquées, cette saison et la prochaine ressembleront à une épreuve de vérité pour beaucoup de nos attaquants.
En attendant, on compte sur eux (Zitouni, Selliti, Missaoui, Ben Younes, Laâroussi, Daâssi, Lansari etc.) pour jouer, marquer et gagner une place en sélection.
Karray BRADAI
Classement des buteurs
— Mohamed Selliti 10 buts
— Ali Zitouni 9 buts
— Riadh Djelassi 8 buts
— Nabil Missaoui 8 buts
— Imed Ben Younès 7 buts
Youssef Zouaoui (DTN)
« L’esprit de jeu en question »
«Le problème du buteur ne peut être traité en dehors d’un contexte plus général qui est celui du football et de l’esprit qui y préside actuellement. C’est tout l’esprit d’équipe qui est à débattre», estime Youssef Zouaoui. «Cet esprit, dit-il, ne favorise pas l’émergence d’une race de buteurs capables de donner au football sa pleine expression de par les contraintes auxquelles se trouve soumis le joueur dès son jeune âge. Cela nous renvoie, affirme-t-il, à la formation qui se fait à l’envers de l’essence du football avec comme principe et souci primordiaux de ne pas perdre. Au lieu d’apprendre au jeune comment gagner, on lui apprend comment ne pas perdre avec tout ce que cela engendre comme jeu négatif», ajoute le directeur technique national qui demeure persuadé de «la nécessité d’accepter le fait qu’il y a toujours un vainqueur et un vaincu en sport pour favoriser un esprit positif. Si on arrive à l’admettre, on aura fait la moitié du chemin pour favoriser une formation adéquate. Dans le cas contraire, et comme il est d’usage de nos jours, c’est tout le processus d’évolution du jeune qui est faussé et qui aboutit à ce que nous vivons dans la catégorie des seniors au niveau des clubs et de l’équipe nationale, estime Zouaoui, Par ailleurs, il y a des prédispositions chez les buteur qui doivent être exploitées et mises à profit pour améliorer son rendement et son efficacité. Cela renvoie au travail spécifique qui doit parfaire des qualités telles que la technique, la lucidité, le bon timing et la précision», note notre interlocuteur en faisant le parallèle avec «le joueur créateur qui ne doit pas être astreint à des consignes strictes tuant ses aptitudes techniques, telles que le dribble, qui est souhaitable et qu’on doit savoir gérer pour en faire profiter l’équipe, toujours dans l’optique de favoriser le jeu offensif.
Répondant à ce souci, Youssef Zouaoui nous a confié qu’«un stage a eu lieu les 7, 8 et 9 avril dont le thème était “le jeu offensif”, avec comme directive pour la préformation le schéma 4-3-3. Un second stage aura lieu les 21, 22 et 23 pour les 16-19 ans et dont le thème choisi est “Les exigences technicotactiques selon les objectifs et les moyens vers le jeu offensif”». Et Zouaoui de conclure que le «tout est question d’état d’esprit et de conviction dans l’utilité de mettre en place une dynamique favorisant le jeu offensif qui crée chez le buteur les conditions favorables pour s’exprimer».
Ali TRABELSI
Faouzi Benzarti
«Une question de formation»
«Si les attaquants ne marquent pas beaucoup en championnat, c’est parce qu’ils sont mal formés dès leur jeune âge. Ils ne travaillent pas beaucoup leurs qualités au cours des entraînements. Je vous signale qu’il n’y a pas d’école de formation pour les attaquants en Tunisie. C’est une grande lacune à laquelle la DTN doit remédier si on veut avoir des attaquants de la trempe de Ali Zitouni. Ce dernier est pour moi l’attaquant le plus complet. Il a une grande marge de progression. Certes, il y a des attaquants occasionnels, mais c’est trop peu pour parler de véritables chasseurs de buts. Ils étaient aussi toujours barrés par des attaquants étrangers. Ces derniers ont anéanti indirectement les espoirs de nos buteurs.
C’est pour cette raison qu’on ne marque pas assez. Nos attaquants sont très irréguliers dans leurs performances. Ils n’ont pas le temps d’étoffer leur registre faute de moyens et de talent. Etre attaquant, ce n’est pas facile, même avec le talent. Il faut avoir des qualités techniques et tactiques adéquates pour ce poste.
Actuellement, la plupart des entraîneurs optent pour un seul joueur en pointe, ce qui ne facilite pas la tâche des attaquants pour pouvoir étaler leurs dons de buteurs. Bien sûr avec ce système défensif, l’attaquant perd ses automatismes et ses repères.
Mais je dois souligner que tant qu’il n’y a pas de centre de formation pour les attaquants, on n’aura jamais de véritables buteurs».
B.K.
Férid Ben Belgacem
«Instaurer un travail spécifique»
«Il y a une pénurie d’attaquants parce qu’il n’y a pas eu de formation adéquate pour donner naissance à des buteurs. Ces derniers ne marquent pas parce qu’ils évoluent dans un contexte défavorable.
Ils sont toujours bloqués par des schémas tactiques défensifs. En optant pour cinq ou six défenseurs, l’équipe sera toujours bloquée par un système de prudence, ce qui anéantit les tentatives des attaquants. Il faut dire que ces derniers n’ont plus de régisseurs offensifs pour les alimenter en bons ballons. A part Zitouni et Selliti, les autres devront travailler davantage pour consolider leur rôle d’attaquants. Ces derniers ne marquent pas quand ils n’ont pas d’espaces favorables pour extérioriser leurs qualités.
Je souligne aussi qu’il faut inciter la DTN à créer une école de formation pour les attaquants pour avoir de véritables buteurs.
Les attaquants actuels doivent mettre les bouchées doubles pour rattraper leur retard. C’est pourquoi je pense que la concurrence leur fera du bien.
Il n’y a pas de recette miracle. Les attaquants doivent travailler de plus en plus dans la zone de réparation».
B.K.
Lotfi Benzarti
« Miser sur les jeunes »
«De nos jours, les buteurs se font de plus en plus rares partout dans le monde, faute de joueurs doués qui ont le sens et le flair du but, mais aussi faute de football total où tout le monde défend et attaque, ce qui explique d’ailleurs le manque flagrant d’espaces, dont les hommes de pointe raffolent pour faire la différence. Toutefois, il ne faut pas confondre l’avant-centre traditionnel, dit opportuniste, qui marque des buts, avec celui qui crée sa danger et fait marquer des buts. C’est le premier qui manque dans notre championnat. En effet, c’est le deuxième type, dit aussi attaquant de poche, doté généralement d’une bonne technique et d’une vitesse d’exécution, qui est entrain de se convertir en buteur. On cite, à titre d’exemple, Zied Jaziri, Nabil Missaoui et à un dégré moindre M. Jedidi. Leur application à l’entraînement, surtout au niveau du travail spécifique à l’approche des buts, a été pour beaucoup dans cette réussite qui reste toujours relative.
Pour remédier à cette carence dont souffre notre championnat et, par conséquent, note équipe nationale, il faut absolument planifier dès le jeune âge en triant les plus doués pour en faire de vrais finisseurs. Seul le travail spécifique bien étudié, associé à un suivi parfait, pourrait donner tôt ou tard les résultats escomptés, mettre fin à cette indigence et de surcoît assurer contunuité et relève. En un mot, c’est au niveau des jeunes talents qu’il faut aller chercher ces perles rares capables de s’imposer grâce à leur don comme de vrais chasseurs de buts, rendant ainsi un grand service aux clubs qui ne cessent de recruter des attaquants étrangers pas toujours capables de résoudre ce problème épineux de concrétisation».
T.K.
Habib Mejri
«Manque d’audace des attaquants»
«Depuis la saison qui a vu Belhassen Aloui remporter le titre du meilleur buteur avec 18 buts et la saison d’après où Sami Touati était meilleur buteur avec 17 buts, nous avons assisté à l’absence de grands buteurs tunisiens. Les chiffres de cette saison sont faibles. Il faut avouer que nous n’avons pas une bonne poignée d’avant-centres buteurs. Explication ? A mon avis, un buteur n’est pas quelqu’un qui vient au monde en ayant le sens du but. C’est un don qui se travaille dès le jeune âge et qui s’acquiert avec les matches, avec les difficultés sur le terrain. Je pense qu’il faut élaborer une formation et un entretien spécifiques à ce poste quasi absent de notre championnat».
Notre interlocuteur poursuit en mettant le doigt sur une autre cause de la disparition de la race des buteurs : «Je crois que nos attaquants n’osent pas assez au cours des matches. Il y a une pression qui pèse sur leurs épaules, naissant de la peur de rater des buts. Parfois, c’est un manque de zèle et de personnalité de nos attaquants qui cafouillent face à des défenses renforcées ou des situations délicates. C’est un problème général inquiétant. Même du côté des jeunes, on ne voit pas pousser de futurs attaquants forts et audacieux».
R.E.H.
Imed Ben Younès
«Les attaquants ne sont pas protégés»
«Le phénomène prend de plus en plus d’ampleur. Cela est perceptible d’une saison à une autre. L’on est d’ailleurs bien loin de l’époque où la moisson annuelle des buteurs dépassait manifestement celle réalisée au cours des dernières saisons. L’écart est énorme.
Plusieurs facteurs ont concouru à cet état de fait, du reste fort préjudiciable pour le prestige de notre football. L’on cite parmi eux les systèmes de jeu qui accordent souvent la priorité au béton et au football négatif. Rares en effet sont les entraîneurs qui privilégient les options offensives; ce qui prive souvent les attaquants de balles jouables. Ceux-ci sont souvent pris aussi pour cibles par les défenseurs qui ne reculent devant aucun procédé pour les intimider et même pour leur occasionner des préjudices physiques graves. Personnellement, je souffre actuellement d’une double fracture au niveau de la clavicule. Je porte également une profonde cicatrice, due à une agression caractérisée au niveau de la joue. J’ai dû également me soumettre à deux délicates interventions chirurgicales pour soigner des ruptures au niveau des ligaments croisés. Tout cela m’est arrivé sur le terrain et devant des arbitres passifs !! L’attaquant, en victime expiatoire, n’est pas souvent protégé. Pis encore, il est continuellement sous la menace du carton jaune dès qu’il pénètre dans la zone de réparation, sous prétexte de simulation.
Les règlements sont souvent interprétés en faveur des défenseurs. C’est là aussi un des facteurs qui freinent le plein épanouissement de nos avants.
Et puis, il y a lieu de mentionner les arrêts fréquents de la compétition. Les trêves sont devenues si nombreuses qu’il est presque impossible de garder la forme. Et ce n’est pas avec 20 ou 25 matches, étalés sur toute une saison, qu’un attaquant arrive à se forger une stature de puncheur. La multiplication des rencontres, avec l’augmentation du nombre de clubs en Nationale, pourraient aider à surseoir à la carence des attaquants, et par là à créer une dynamique propre à la confection d’un jeu aéré et plaisant, loin des pressions inhérentes aux résultats immédiats et des petits calculs du football négatif. L’arbitrage se doit aussi d’assumer pleinement ses responsabilités…
Tout un puzzle à monter et à soigner.»
Rachid AYADI
Mohamed Selliti
« Les espaces manquent »
«Quand on est attaquant, c’est important de marquer et je pense que les buts que j’ai réalisés vont me faire énormément de bien et me permettre de progresser davantage.
Progresser, c’est le maître mot auquel je ne cesse de penser. J’ai besoin de sérénité pour étoffer mon registre.
Je crois que les attaquants existent en Tunisie. Certes, ils ne marquent pas beaucoup parce qu’ils ne disposent pas d’assez d’espace pour le faire. C’est clair, à nous, buteurs, de justifier notre réputation en marquant des buts et prouver nos qualités. Si on ne marque pas, le mental sera touché. Il faut, à mon avis, avoir un contexte favorable, une tactique portée sur l’offensive et des milieux de terrain clairvoyants pour réaliser des buts.
Mon rêve cette saison est de remporter la Coupe de Tunisie avec le ST, être meilleur buteur du championnat et gagner une place en équipe de Tunisie.
Bien sûr, pour réaliser ce rêve, il faut travailler durement.»
B.K.
Adel Sellimi
«Absence de personnalité et de flair»
«Il y a une mauvaise qualité de travail et de formation des futurs avant-centres. Je remarque que dans notre championnat, on se crée des occasions, mais le problème, c’est que les attaquants manquent de métier, parfois de personnalité et de flair pour concrétiser les occasions. Un grand buteur, c’est aussi quelqu’un qui sent les buts et se place donc en fonction des situations du match. Le buteur peut fléchir ou s’éclipser pendant le match, mais se réveille à la première occasion qui se présente. Je pense qu’il faut travailler davantage dès les catégories des jeunes ce poste bien important. Le jeune avant-centre doit passer des heures à tirer dans les buts dans les conditions réelles d’un match. Je crois que la qualité du travail spécifique pour les attaquants chez les jeunes est la première explication à ce problème de buteurs dans notre championnat. C’est simple, travaillons plus et encore mieux pour développer de grands buteurs».
Concernant les répercussions de la timidité des avants tunisiens sur l’équipe nationale qui aura, lors de la CAN 2004, des adversaires aux buteurs puissants, Sellimi ajoute : «L’importance du travail collectif sur le terrain peut compenser l’absence d’un avant-centre type. Mais faisons attention, il faut intensifier le travail du côté des jeunes éléments qui peuvent constituer l’avenir».
R.E.H.
Zied Jaziri
«Il n’y a plus de grands meneurs de jeu»
«Plusieurs raisons, surtout d’ordre tactique, expliquent le fait que les attaquants sont aujourd’hui moins prolifiques qu’auparavant. En effet, actuellement, il y a beaucoup plus de calculs. On pense avant tout à ne pas encaisser de buts plutôt qu’à en marquer plus que l’adversaire.
D’autre part, les avants de pointe, surtout ceux réputés dangereux, sont soumis à un marquage impitoyable par deux, voire trois défenseurs adverses.
Et puis, il ne faut pas oublier que presque tous les clubs ne disposent plus de ces organisateurs hors pair, de ces passeurs géniaux comme l’étaient Agrebi, Tarek, Baya…
La même constatation s’impose pour les excentrés. Les arrières de la valeur d’un Hatem Trabelsi ne courent plus les rues. Avant, les attaquants recevaient des centres précis, dans le dos des défenseurs, et pouvaient faire la différence même s’ils sont marqués de près.
Aujourd’hui, les centrages sont imprécis ou en cloche. Ils sont donc facilement interceptés par les arrières.
De ce fait, il n’y a presque plus de buteur patenté. On fait circuler la balle le plus possible pour ouvrir une brèche à un joueur venant de loin et qui a ainsi la possibilité de marquer.
Peut-être aussi que la race des buteurs-nés comme Adhouma, Tlemçani ou Habib Mougou est en voie d’extinction. Cela est dû au fait qu’il est demandé aujourd’hui aux attaquants de participer davantage au jeu, de défendre, de se replier, de jouer les passeurs plutôt que les finisseurs.
Peut-être également que la pression est plus grande sur les joueurs car aujourd’hui le résultat prime sur la manière.
C’est tout un état d’esprit qui a joué, une forme de jeu qui a évolué. On ne cherche plus le panache, l’exploit technique, le côté spectaculaire qui fait se lever en même temps des milliers de spectateurs. Seuls les points glanés comptent, quelle que soit la façon pour y arriver.
Mais pour qu’un avant puisse marquer, il faut avant tout qu’il reçoive des balles jouables, pour profiter de l’effet de surprise et prendre en défaut la défense adverse. C’est donc toute une conception de jeu à revoir et surtout des meneurs de jeu à découvrir».
Raouf BEN ALI